Appel à communications

Ordre du discours et discours du désordre. L’héritage littéraire de Michel Foucault

82e Congrès annuel de l’Acfas — Université Concordia
Jeudi 15 mai 2014

Appel à communications


Située à l’intersection de la philosophie et de l’histoire, la pensée de Michel Foucault n’a jamais cessé d’entretenir avec la littérature un rapport marqué par le sceau de l’ambivalence. Comme l’ont relevé dernièrement Philippe Artières, Jean-François Bert, Mathieu Potte-Bonneville et Judith Revel, l’analyse foucaldienne tourne autour du phénomène littéraire comme autour d’un nœud de vipères, dont elle éclaire la complexité mais que, pourtant, elle se montre incapable de dénouer : en effet, Foucault est « amené à soutenir simultanément, à faire jouer à la fois une non-spécificité de la littérature, et tout au contraire sa centralité stratégique[1] ».
Car si la littérature, dans le cadre de l’enquête archéologique, se trouve par principe réinjectée dans l’économie générale de la production discursive, au sein de laquelle elle ne définit aucun territoire isolé, elle fait pourtant l’objet, par ailleurs, d’un traitement privilégié par lequel Foucault lui reconnaît le pouvoir d’engendrer « quelque chose comme une expérience de dés-ordre, ou la mise en œuvre d’une rupture[2] ». C’est dans une conférence donnée en 1964 (« Littérature et langage »), à Bruxelles, que Foucault thématise le mieux et le plus frontalement, peut-être, cette idée problématique qui fait correspondre la littérature à un « phénomène de parole » fondamentalement transgressif et dont le propre serait de suspendre certaines contraintes intrinsèques au code linguistique pour s’enfermer dans un « ésotérisme structural[3] ». Difficile de ne pas y voir, rétrospectivement, l’écho négatif ou l’image inversée de l’idée directrice dont Foucault fera le grand thème, en 1970, de sa leçon inaugurale au Collège de France : l’« ordre du discours ».
Or, force est de constater que cette tension latente entre ordre et désordre « travaille » l’œuvre de Foucault sur plusieurs plans et en plusieurs lieux. Elle se manifeste notamment, et de façon semble-t-il capitale, autour de la figure de Sade, qui alimente, ponctue et accompagne de façon régulière, dans sa première phase surtout, l’analyse foucaldienne ; mais à plus grande échelle, cette tension se manifeste aussi, de façon plus ou moins marquée selon les cas, lors de ces multiples occasions (des points stratégiques dans l’argumentation) où Foucault laisse les références littéraires et artistiques pénétrer son propre discours analytique et y dessiner une constellation particulière. Quel est le statut épistémologique de la littérature dans la pensée foucaldienne ? En fait, cette présence du littéraire est sans doute complexe et ses modalités d’apparition sont variées. La littérature s’insère-t-elle directement, et au même titre que tout autre discours, dans les « archives » analysées par Foucault, de façon à corroborer ses conclusions ou à doter ses explications d’une plus grande force démonstrative ? Ou est-elle l’écueil sur lequel la cohérence et la valeur de sa méthode archéologique sont condamnées à venir se briser ou s’éroder ?
Bref, l’ambiguïté du traitement qu’il réserve à la littérature signale que, chez Foucault, le littéraire figure comme le lieu d’une sorte d’hésitation méthodologique. Comme si, résistant à toute capture définitive, les objets littéraires étaient à la fois complices d’une lecture archéologique de l’histoire et, pourtant, réfractaires à sa visée totalisatrice. Cette tension est à la fois le signe d’une certaine propriété de la chose littéraire (qui mériterait alors de faire l’objet d’une réflexion à l’aune des travaux de Foucault) et le signe d’un certain fonctionnement de l’analyse foucaldienne (on pourrait alors penser que la question de l’inscription problématique du littéraire dans l’œuvre de Foucault, une sorte de présence/absence, fournirait une perspective privilégiée pour dégager et comprendre les ressorts de sa pensée). Il semble donc, dans le premier cas, que Foucault puisse nous aider à penser la littérature et, dans le second, en retour, que la littérature puisse nous aider à éclairer et interroger sa philosophie, tant ses fondements épistémologiques que les divers stades qui ont caractérisé son développement.
C’est donc sur cette base générale que ce colloque souhaite réunir des chercheurs et des chercheuses issu-e-s d’horizons variés afin de dresser un premier bilan général de l’héritage littéraire de Michel Foucault et d’évaluer les apports de sa pensée aux études littéraires. Nous invitons, en ce sens, les communicants et communicantes à inscrire leur intervention dans l’une ou l’autre des perspectives suivantes :
1) L’analyse et la critique de la pensée foucaldienne elle-même, en regard de la place – pouvant aller jusqu’à une absence complète – tenue par la littérature dans l’enquête « archéologique » définie et menée par le philosophe, type d’enquête dont on questionnera ainsi les fondements épistémologiques et les implications historiographiques.
2) Les usages divers que Foucault a faits de la littérature et des œuvres d’art : peut-on esquisser les grandes lignes de ce qui serait demeuré, chez Foucault, une sorte de théorie implicite de l’art, de la culture, de la littérature ou de la peinture, etc. ?
3) Quels ont été, quels seraient ou quels peuvent être, à la fois d’un point de vue général et/ou autour d’éléments plus ciblés, les apports de la pensée foucaldienne au domaine des études littéraires ?
4) Nous voudrions enfin ouvrir le champ, dans une perspective d’« application », à des lectures d’œuvres littéraires particulières qui s’effectueraient à partir d’un cadre de réflexion foucaldien ou qui mobiliseraient l’une ou l’autre des composantes théoriques et/ou philosophiques développées par Foucault.
Modalités
Les propositions de communication doivent être envoyées par courriel au comité organisateur au plus tard le 14 février 2014 à l’adresse suivante : colloquefoucault2014@gmail.com. Elles doivent contenir un titre, un résumé de 10 à 20 lignes ainsi qu’une courte notice biobibliographique.

URL de référence : http://colloquefoucault2014.blogspot.com. 

Alex Gagnon & Alex Bellemare
Doctorants et chargés de cours 
Département des littératures de langue française
Université de Montréal

Anthony Glinoer
Professeur agrégé, Université de Sherbrooke
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada 
sur l'histoire de l'édition et la sociologie du littéraire




[1] Philippe Artières, Jean-François Bert, Mathieu Potte-Bonneville et Judith Revel, « Présentation », dans Michel Foucault, La grande étrangère. À propos de littérature, édition établie et présentée par Philippe Artières, Jean-François Bert, Mathieu Potte-Bonneville et Judith Revel, Paris, Éditions EHESS, 2013, p. 13.
[2] Ibid., p. 14.
[3] Michel Foucault, « Littérature et langage. Deuxième séance », La grande étrangère, p. 112-113.